Etudier 'La Place" en classe de première ES

Introduction

L'objectif principal du projet, mené avec notre classe de première, est le suivant : faire saisir aux élèves que ce qui fonde la sociologie est avant tout une démarche (le « regard sociologique »), bien plus sans doute qu'un objet d'étude spécifique. Quelle meilleure manière pour y parvenir que de partir d'un matériau qui n'est justement pas perçu comme « sociologique » par les élèves ? C'est la raison pour laquelle nous nous sommes appuyés sur une œuvre étudiée en cours de Lettres, La Place d'Annie Ernaux, afin d'en montrer l'intérêt pour le sociologue.

La Place se prête particulièrement bien à ce type de projet. En effet, Annie Ernaux rend compte dans cet ouvrage de la trajectoire sociale de sa famille (du grand-père journalier aux parents ouvriers puis commerçants) ainsi que de sa propre ascension sociale (elle est la première de la famille à suivre des études secondaires et devient professeur de Lettres). Or cette mobilité sociale inter-générationnelle singulière est relativement symbolique des modifications de la structure sociale française au cours du siècle : réduction drastique de la population active agricole, essor de la classe ouvrière, émergence d'une classe moyenne nombreuse.
Le but final est de donc de faire comprendre aux élèves que derrière l'histoire d'une vie, derrière une trajectoire individuelle douloureusement vécue se dessine un destin social typique. Tout le travail consiste à en relever les caractéristiques, et surtout, à les conceptualiser.

De plus, ce projet peut permettre d'échapper à deux écueils qui guettent la logique d'apprentissage traditionnelle.
Tout d'abord, l'organisation du programme en parties, puis en chapitres, puis en paragraphes peut amener les élèves à la représentation d'un univers cloisonné, segmenté. Cette tendance est renforcée par l'habitude que l'on a d'associer à chaque concept sociologique ou économique un exemple. Que l'on recoure à la méthode inductive ou déductive, le principe est le même : tout concept ou mécanisme doit être illustré par un exemple particulier. Le risque, c'est qu'à force de diversifier les exemples, on ne parvienne à la description d'un monde économique et social constitué d'une mosaïque de cas.
Bien sûr, le professeur insistera dans son cours sur le lien entre les chapitres, sur la dimension économique et sociale de tout phénomène, et pourra recourir à des exemples similaires voire identiques sur des chapitres différents. Toutefois, il nous semble que même ainsi, on n'échappe pas totalement aux risques précédemment évoqués.
L'intérêt de l'étude d'une œuvre complète est qu'elle oblige à l'inverse les élèves à mobiliser sur un même exemple un nombre important de connaissances tirées de différents chapitres.

Ce projet général en tête, il nous a semblé nécessaire de lui donner des fondements de deux ordres :
Sociologiques tout d'abord. Pour cela, nous nous sommes demandés en quoi l'étude d'une autobiographie en général, et de La Place en particulier pouvait être sociologiquement pertinente
Pédagogiques ensuite. En effet, toute la difficulté consiste à convaincre les élèves de cet intérêt sociologique. Nous avons donc réfléchi ensuite aux enjeux pédagogiques de notre projet, et notamment à la manière de construire une démarche pédagogique pertinente, et convaincante.
Ce sont ces deux aspects qui vont faire l'objet de notre première partie.

1ère partie : de la théorie sociologique au projet pédagogique            I- Les enjeux d'une étude sociologique de La Place

1) La Place : une autobiographie

a) Les apports d'une biographie à l'analyse sociologique
L'approche biographique en sociologie a pour objet de reconstituer des histoires des individus par des sources diverses et d'interpréter ces itinéraires dans le contexte de leurs relations sociales. W. I. Thomas et F. Znaniecki, qui se proposaient d'étudier l'adaptation des immigrants polonais aux Etats-Unis pendant les années 1920, analysèrent, à côté de documents personnels et de correspondances privées, la biographie d'un certain nombre d'immigrants d'origine paysanne. Ils suscitèrent aussi des récits autobiographiques dans lesquels un immigrant était invité à reconstituer sa propre trajectoire et à exprimer ainsi ses propres perceptions, valeurs et interprétations.

L'approche biographique peut ainsi revêtir plusieurs formes méthodologiques : soit qu'elle prenne une forme purement autobiographique, soit que le sociologue corrobore les récits personnels par des informations extérieures, soit encore qu'il recherche à reconstituer les trajectoires d'un certain nombre d'acteurs sociaux à travers des sources d'informations telles que les statistiques et les questionnaires. L'analyse sociologique de La Place correspond clairement à la première forme de méthode. Le récit autobiographique doit être pris comme tel, et ne peut être confronté à des sources extérieures (témoignages de proches, lettres…). Il s'agit donc de l'étude d'une « life story » (histoire de vie racontée par un individu), et non d'une « life history » (qui prend aussi en compte des documents variés).

Qu'attendre de cette approche biographique ? Comme l'écrit H. S. Becker, la première fonction d'une biographie est de fournir des informations concrètes. Pour les élèves, l'étude de La Place peut ainsi apporter des illustrations, des exemples, aux concepts théoriques étudiés en cours (normes, valeurs, socialisation…). Une seconde fonction relevée par Becker retiendra notre attention : la biographie permet de faire des études sur des sujets contigüs. Autrement dit, la relecture du roman permettra aux élèves de relier ce que l'enseignant a dissocié en parties, puis en chapitres, puis en paragraphes… Enfin, à partir d'une biographie, il est parfois possible de déterminer « un itinéraire caractéristique ». Dans le cas qui nous intéresse, cet itinéraire est double. C'est celui d'une famille tout d'abord (grand-père garçon de ferme, père ouvrier-commerçant, fille enseignante). A travers l'histoire de cette famille se dessine d'ailleurs une histoire plus large : celle du passage d'une société française majoritairement rurale à une société industrielle puis post-industrielle. Mais c'est –d'autre part- l'itinéraire d'une femme, l'histoire de son passage d'un milieu social à un autre, et des conflits culturels qui l'accompagnent.

b) Du risque de l'« illusion biographique »
Cependant, le risque toujours présent d' « illusion biographique » n'est-il pas d'autant plus à prendre au sérieux que l'objet étudié est une œuvre romanesque ? En effet, comme l'écrit P. Bourdieu, « produire une histoire de vie, traiter la vie comme une histoire, c'est-à-dire comme le récit cohérent d'une séquence signifiante et orientée d'évènements, c'est peut-être sacrifier à une illusion rhétorique, à une représentation commune de l'existence, que toute une tradition littéraire n'a cessé et ne cesse de renforcer ». Cette critique ne s'applique-t-elle pas particulièrement à La Place, Prix Renaudot 1984, et donc institutionnellement classé dans la catégorie des « romans » ?

Tout l'intérêt du livre vient justement du fait qu'Annie Ernaux se place d'emblée à l'écart du récit romanesque traditionnel. Elle écrit : « Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d'« émouvant ». Je rassemblerai les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrement à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles ».

Le choix des termes est particulièrement intéressant. Ni nostalgie, ni honte dit-elle. Seulement « les signes objectifs d'une existence ». A. Ernaux se place donc d'emblée son récit sous le signe de l'impartialité, de la description objective des faits, de la neutralité, autant d'éléments que seule une « écriture plate », sans artifice ni fioriture, peut rendre. Ni Emile Zola ni Henri Pourrat, A. Ernaux se veut la narratrice détachée de sa propre existence.

2) La Place, témoignage d'une « étrangère »

Cette volonté d'A. Ernaux s'explique sans doute largement par sa propre trajectoire sociale. A ce titre, les travaux d'A. Schutz sur l' « étranger » sont particulièrement éclairants. Le terme « étranger » se réfère à « un individu adulte (…) qui essaye d'être accepté pour de bon, ou tout au moins toléré, par un nouveau groupe (…) Le candidat désirant devenir membre d'un club très fermé, le fiancé voulant se faire agréer par sa future belle-famille, le fils du fermier entrant au collège (…) sont tous des étrangers » selon sa définition. C'est exactement la situation dans laquelle se décrit Annie Ernaux, même si sa terminologie est différente. Issue d'un milieu populaire, ses études universitaires, puis son mariage avec un jeune homme de la bourgeoisie l'amènent à se sentir « déplacée » (d'où le titre et la récurrence du terme dans le livre), aussi bien dans son milieu d'origine que dans celui d'arrivée. Passage révélateur de ce sentiment : « Je voulais écrire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé ».

C'est de cette distance que peut naître le regard sociologique. Comme le rappelle A. Schutz, tout membre né ou élevé à l'intérieur d'un groupe accepte le schéma standardisé prêt à l'emploi d'un certain modèle culturel. Ce modèle recouvre un ensemble de recettes auxquelles on accepte de faire confiance pour interpréter le monde social et traiter les êtres et les choses. Ce modèle culturel fonctionne, précise-t-il ,comme un « schème d'expression » (quiconque veut obtenir un certain résultat doit procéder comme la recette prévue à cette fin) et comme un « schème d'interprétation » (quiconque procède comme indiqué par telle ou telle recette est censé comprendre le résultat correspondant). Ceci correspond à la « pensée courante », qui, pour la plupart des individus, ne sera jamais remise en cause.

Certaines ruptures en revanche peuvent perturber la stabilité du modèle culturel de l'individu. A. Schutz prend l'exemple de l'immigration, mais la mobilité sociale peut produire les mêmes conséquences. Dans ce cas en effet survient une « crise », qui, selon la définition de W. I. Thomas « interrompt le flot des habitudes et donne naissance à de nouveaux états de conscience et des normes nouvelles pour l'action ». Le modèle culturel ne fonctionne plus comme un système de recettes dont on dispose ; il révèle que son applicabilité est restreinte à une situation spécifique. A. Schutz écrit :
Les tombes et les souvenirs ne peuvent ni être conquis ni transportés. L'étranger, en conséquence (…) est exclu des expériences constituant le passé du groupe. Du point de vue du nouveau groupe, il est un homme sans histoire.
Lorsqu'il découvre que les choses dans son nouvel environnement sont très différentes de ce qu'il anticipait à distance, l'étranger est fréquemment ébranlé dans la confiance qu'il accordait à la validité de sa « pensée courante » (…) En d'autres mots, le modèle culturel du nouveau groupe n'est pas un lieu de refuge mais un champ d'aventure, pas une évidence mais un point d'interrogation, pas un instrument utile pour clarifier les situations embrouillées mais une situation problématique et même difficile à maîtriser.


                Tout ceci explique l'aptitude particulière de l'étranger à l'objectivité. Cette objectivité n'est d'ailleurs pas seulement expliquée par son attitude critique :
L'étranger n'est certes pas prêt à adorer les « idoles de la tribu » et ressent très fortement l'incohérence et l'inconsistance du nouveau modèle culturel. Mais cette attitude a moins pour origine sa propension à juger le nouveau groupe selon les critères qu'il apporte dans ses bagages que dans son besoin d'acquérir une pleine connaissance du nouveau modèle culturel. La raison la plus profonde pour son objectivité, d'ailleurs, repose sur l'amertume se sa propre expérience des limites de sa « pensée courante », qui lui a enseigné qu'un homme peut perdre son statut, ses règles de conduite, et même son passé, et que la manière normale de vivre est toujours moins assurée et moins naturelle qu'il n'y pourrait paraître.

C'est ce qu'illustre parfaitement bien cet extrait de La Place : « J'émigre doucement vers le monde petit-bourgeois, admise dans ces surboums dont la seule condition d'accès, mais si difficile, consiste à ne pas être cucul. Tout ce que j'aimais me semble péquenot, Luis Mariano, les romans de Marie-Anne Desmarets, Daniel Gray (…) Même les idées de mon milieu me paraissent ridicules, des préjugés, par exemple, ‘la police, il en faut' ou ‘on n'est pas un homme tant qu'on n'a pas fait son service' . L'univers pour moi s'est retourné »

3) Congruence entre la prose d'A. Ernaux et la sociologie bourdieusienne

La première caractéristique de l'écriture d'A. Ernaux est la recherche d'objectivité, objectivité rendue possible par son ascension social et le conflit culturel que celle-ci a engendré. Cependant, La Place est aussi une illustration des phénomènes de domination étudiés par Bourdieu. Et, particularité remarquable, l'écrivain revendique elle-même la référence à Bourdieu :
« Lire dans les années 1970 Les Héritiers, La Reproduction, plus tard La Distinction, c'était –c'est toujours- ressentir un choc ontologique (…) L'être qu'on croyait être n'est plus le même, la vision qu'on avait de soi et des autres dans la société se déchire, notre place, nos goûts, rien n'est plus naturel, allant de soi dans le fonctionnement des choses apparemment les plus ordinaires de la vie. Et, pour peu qu'on soit issu soi-même des couches sociales dominées, l'accord intellectuel qu'on donne aux analyses rigoureuses de Bourdieu se double d'une évidence vécue, de la véracité de la théorie en quelque sorte grandie par l'expérience : on ne peut, par exemple, refuser la réalité de la violence symbolique lorsque, soi et ses proches, on l'a subie ».
De multiples extrait de La Place peuvent servir à illustrer cette prise de position, tel que celui-ci : « J'ai fini de mettre au jour l'héritage que j'ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et cultivé quand j'y suis entrée ».

Cette congruence entre la sociologie de Bourdieu et l'œuvre littéraire d'A. Ernaux ne doit cependant pas faire oublier deux choses.
D'une part qu'Annie Ernaux reste avant tout un écrivain, et non une sociologue. La sociologie qui sous-tend son œuvre reste toujours implicite. Tout l'intérêt du projet sera donc de rendre explicite ce qui ne l'est pas, d'apprendre aux élèves à conceptualiser leurs démonstrations, à aller du particulier au général, autrement dit d'utiliser le raisonnement inductif.
D'autre part que la référence à la sociologie de Bourdieu n'est une condition ni nécessaire ni suffisante pour appréhender l'intérêt sociologique de l'œuvre étudiée. L'objectif premier de notre projet est de permettre aux élèves de réfléchir de manière plus approfondie sur les chapitres étudiés en cours.
Après avoir explicité les possibilités multiples d'une lecture sociologique de La Place, il va s'agir à présent d'en restreindre le nombre (et l'ambition), afin d'élaborer un projet accessible à des élèves de première. En effet, il ne suffit pas d'avoir un projet sociologiquement viable. Encore faut-il que celui-ci soit également pédagogiquement pertinent. C'est ce que nous allons essayer de démontrer.

II - Elaboration du projet pédagogique


1) Intérêt du sujet

a) Saisir la spécificité du « regard sociologique »__
Le première difficulté du projet est de faire comprendre aux élèves l'intérêt, et surtout la légitimité de l'étude de ouvrage relevant du genre littéraire en cours de S.E.S. Deuxième difficulté, la dimension sociologique de La Place n'a été éludée par Madame Baudu, le Professeur de Lettres. Dans le cadre du cours de français, les élèves ont étudié La Place au titre d'œuvre complète et ont bien sûr travaillé sur la réalité sociale décrite dans cette œuvre, et ce souvent de manière très fine et précise. Ainsi, ils ont été amenés à repérer dans le texte les différents niveaux de langage (patois, populaire, bourgeois), à caractériser les différents milieux sociaux traversés par la narratrice… Le texte n'a-t-il donc pas finalement déjà livré toute sa substance ?

La mise en œuvre du projet devra convaincre les élèves que la réponse à cette question est négative. C'est d'ailleurs en lisant les cours que Madame Baudu nous a prêté que nous nous en sommes convaincus. En effet, la dimension sociologique est souvent présente dans ses commentaires, mais la plupart du temps de manière implicite et sous-jacente. Le but est donc de montrer que les théories et les mécanismes étudiés en cours de S.E.S peuvent permettre de nommer, voire de généraliser, les phénomènes relevés.
A partir d'une même œuvre, il est ainsi possible de mettre en évidence les apports respectifs de deux disciplines :
étude de la forme de la narration en Lettres
caractérisation de phénomènes sociologiques en S.E.S
Il faudra donc montrer que si La Place n'est pas l'œuvre d'une sociologue, ce livre peut malgré tout servir de support à l'analyse sociologique.

b) Montrer la continuité entre les différents thèmes abordés dans le cours
Outre l'intérêt de montrer qu'une œuvre littéraire peut servir à la connaissance sociologique, cette étude a le mérite de faire travailler les élèves sur plusieurs chapitres du cours de manière simultanée, et de leur montrer les ponts existant entre ces différents chapitres.
Sur la socialisation
étude des normes et des valeurs propres à chaque type de milieu traversé par la narratrice
analyse de la manière dont se fait la transmission de ces normes et ces valeurs
Sur la culture
étude des processus d'acculturation, des conflits culturels
caractérisation de « styles de vie » propres à chaque milieu social
Sur la structure sociale
illustration des notions d'inégalités sociales, de hiérarchies sociales, de distinction
travail sur la question de l'ascension sociale et de ses conséquences

c) Une préparation au thème de Terminale sur la mobilité sociale
Enfin, l'étude de la trajectoire professionnelle d'Annie Ernaux et de sa  famille permet aux élèves d'aborder le thème de la mobilité sociale, et surtout, de leur faire comprendre que ce thème central en Terminale est indissociable des chapitres de Première sur la socialisation, la culture et la structure sociale.

2) Mise en place du projet

a) Choix de la période de mise en place du projet
Des extraits de La Place a servi de support aux cours sur la socialisation et la culture dès octobre. Cependant, le projet d'une lecture sociologique de l'œuvre complète a réellement été mis en place entre les vacances de Noël et les vacances de Février, à une période où le cours traitait du financement de l'économie puis des mécanismes du marché.
Le projet n'a donc pas été réalisé parallèlement au cours sur les principaux chapitres concernés (socialisation, culture et structure sociale). Ce décalage nous paraissait positif pour plusieurs raisons :
Il a permis aux élèves de ne pas perdre les acquis du premier trimestre, et de les exploiter d'une manière différente.
Ce travail constituait par ailleurs pour eux une relecture de l'œuvre, toujours utile dans la perspective du Bac de Français.

b) Méthodes adoptées__
Nous avons recouru à deux méthodes différentes, chacune répondant à un objectif spécifique. La première, traditionnelle (étude d'un court extrait de l'œuvre) nous a permis de montrer aux élèves comment un texte littéraire pouvait servir de support à une analyse sociologique. La seconde, plus ambitieuse, obligeait les élèves à un relecture complète de l'œuvre.
 
Elaboration ponctuelle d'un tableau synthétique
En Octobre, dans le cadre du cours sur la culture, nous avons utilisé des extraits du livre, qui nous ont permis de faire construire aux élèves un tableau synthétique. L'objectif était de faire le lien entre norme, valeur et socialisation d'une part, et d'illustrer chacun de ces concepts d'autre part. Le tableau ci-dessous est un aperçu du travail réalisé en classe.

Valeur
                Normes                Type de socialisation                 
Foi                Signes de croix, aller à la messe, fêter Paques                Interaction (importance de la considération de l'entourage)                 
Propreté                Avoir les ongles propres, ne pas avoir des poux, avoir un tricot de corps propre                Coercition (inspection des ongles et des cheveux)                 
Humilité                Etre heureux de son sort, ne pas agir au-dessus de sa condition                Interaction puis intériorisation                 
Famille                Rester proche de sa famille, ne pas tromper son mari, faire les repas du dimanche en famille                Interaction               

Cette méthode est intéressante mais revient à illustrer à l'aide d'exemples des savoirs théoriques étudiés en classe. Or l'objectif de note projet est inverse : se servir de multiples outils théoriques étudiés en cours pour analyser un exemple. C'est la raison pour laquelle nous avons changé de méthode lorsque nous sommes passés de l'étude d'une extrait à l'analyse de l'œuvre complète.

Rédaction d'un commentaire sociologique de « La Place »
Pour étudier l'œuvre complète, nous avons choisi de fournir aux élèves un questionnaire structuré en trois parties (génération des grands-parents, ascension sociale des parents, émergence d'un conflit culturel entre Annie Ernaux et ses parents, synthèse), guidant leur analyse. Ce travail a été fait à la maison, et noté.

Les questions étaient pour la plupart en lien direct avec le programme.
En « caractéris[ant] le milieu social auquel appartenaient les grands-parents de la narratrice » (Q1), les élèves étaient amenés à montrer « comment les sociétés occidentales contemporaines, égalitaires en droit, sont en fait traversées par des différences, des inégalités et des hiérarchies ».
L'identification des normes et des valeurs propres à ce milieu social (Q3) répond à la nécessité posée par le programme d'étudier  « la diversité culturelle au sein d'une même société (…) les différenciations sociales et les cultures de groupe »
« le processus de reproduction sociale » devait être retrouvé derrière cette phrase de l'instituteur du père d'Annie Ernaux ; « Vos parents veulent donc que vous soyiez misérables comme eux ! » (Q5)
plusieurs questions (Q9, Q12, Q14) conduisaient à s'interroger sur « la part respective de l'héritage et de l'acculturation dans la culture »
pour « montrer que les goûts ont une composante sociale importante » (Q13), les élèves devaient comprendre que « la construction de la personnalité et de l'identité d'un individu est un processus culturel, aboutissant à ‘naturaliser' comportements et manières de penser »
enfin, la question de synthèse devait mettre en évidence « le caractère interactif et évolutif de la socialisation et sur le fait que la reproduction sociale n'élimine pas les possibilités de changement ».

Le projet ainsi fondé et construit peut-il réellement atteindre les objectifs qu'il s'est fixé ? La réponse à cette question ne peut passer que par une présentation détaillée de la production des élèves. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi d'accorder une large place à leurs écrits dans la seconde partie.

2ème partie : Production des élèves et commentaires    I - Les étapes d'une ascension sociale familiale

1) La génération des grands-parents : le monde rural pauvre

                Point de départ de l'ascension sociale familiale : les grands-parents d'Annie Ernaux. C'est la raison pour laquelle les élèves étaient d'emblée invités à caractériser leur milieu social, c'est-à-dire à analyser leurs conditions de vie, mais également leur culture, c'est-à-dire les normes, les valeurs, et les représentations qui leur sont propres.

Pour répondre à la première question, il fallait établir l'ensemble des caractéristiques socio-économiques du milieu considéré, sans s'attarder sur les aspects psychologiques, ou alors en ramenant ces derniers à une dimension sociologique. Dès la première question, les élèves devaient donc prendre de la distance par rapport au savoir-faire acquis en cours de français. Ceci a souvent posé problème aux élèves, dont les réponses sont très souvent restées trop descriptives. Au cours de la correction du devoir, nous leur avons donc montré comment organiser une réflexion, tout en reprenant leurs arguments.

Les éléments qui pouvaient être attendus dans la réponse étaient les suivants :
Professions : grand-père ouvrier agricole, grand-mère tisseuse
Conditions de travail difficiles : travail physiquement pénible, six jours sur sept ; la grand-mère travaille dans l'obscurité pour ne pas abîmer les étoffes
Conditions de vie précaires : revenus faibles, famille nombreuse, logement très modeste
Isolement et monotonie de la vie dans un petit village de Normandie

Certains élèves ont cependant su aller au-delà de la simple description , et voir l'exemplarité du cas étudié :
Les conditions de vie sont pénibles, il n'y a pas encore les congés payés et ils n'ont pas les moyens de s'octroyer quelques jours de vacances. Le grand-père a commencé à travailler à huit ans (à l'époque, le travail des enfants n'était pas interdit )» (Alexandra) ou « les conditions de vie et de travail des grands-parents d'Annie Ernaux sont similaires, voire typiques, de celles des personnes rurales de la fin du XIXième siècle (Julie)
Les grands-parents de la narratrice appartiennent au monde rural et agricole. Ils habitent dans un village où il y a une solidarité mécanique, et où les personnes ont des normes et des valeurs similaires (…) Tout le monde dans le village sait ce qui se passe chez les autres, et le moindre écart aux valeurs et aux normes de ce village pourrait entraîner l'exclusion ( …) Ils appartiennent à un milieu assez défavorisé, ou, selon Bourdieu, à une classe dominée puisqu'ils ont un capital culturel assez faible ainsi qu'une capacité économique qui l'est tout autant (Alexandre)

Une fois située socialement et historiquement la famille d'A. Ernaux, les élèves étaient invités à en identifier les normes et les valeurs, sur le modèle de ce qui avait été déjà été réalisé en cours. Cette question, parce qu'elle était beaucoup plus explicitement sociologique, a généralement été bien comprise par les élèves. Un exemple parmi les réponses trouvées :
Une des valeurs fondamentales pour les grands-parents de la narratrice est d'abord la propreté, valeur importante dans le monde dans lequel ils vivent. En effet, dans ce petit village, tout le monde se connaît et s'épie (‘les voisins surveillaient la blancheur et l'éclat du linge'). Les normes qui découlent de cette valeur sont surtout le nettoyage de la maison, de son linge, ainsi que de soi-même. Une autre valeur importante aux yeux des grands-parents était la religion. Les normes que la religion implique étaient toutes respectées par le couple : aller à la messe, faire le signe de croix sur le pain, fêter les Pâques, se découvrir sur le passage du prêtre… De ces deux valeurs, la propreté et la religion, il en découle une importante : la dignité. En effet, en étant propres sur eux-mêmes , en respectant les normes de la religion, les grands-parents voulaient avant tout garder leur dignité (Elodie).


Ensuite, les élèves étaient amenés à montrer que les descriptions qu'Annie Ernaux fait du milieu social de ses parents se veulent objectives, retraçant une réalité vécue, et non imagée, issue des représentations sociales d'un écrivain. 
Le père d'Annie Ernaux est d'origine rurale et modeste, tandis que Proust et Mauriac sont plutôt d'origine bourgeoise. Ils ne connaissent pas vraiment la réalité qu'ils décrivent dans leurs romans, ils ne l'ont pas vécue, mais ils l'imaginent. Ce qu'ils décrivent peut être en décalage par rapport à ce qu'a  vécu M. Ernaux (Julie)

A l'inverse, Annie Ernaux s'écarte de la tradition littéraire française dans laquelle, comme le montre Raoul Girardet, « la représentation de la vie paysanne relève, dans son ensemble, de deux genres fortement contraires : l'idylle pastorale, d'une part, qu'illustrent assez bien les romans de George Sand, le naturalisme sombre, d'autre part, dont les Paysans de Balzac et la Terre de Zola viennent souligner la tradition ». Plus généralement, elle récuse le « mythe paysan », selon lequel « le contact immédiat de la terre protège l'homme de la dégradation du temps, l'associe aux grands rythmes de la nature, lui assure les conditions d'une vie authentique, libérée de tout faux-semblant et de tout subterfuge ».

Ensuite, une fois le milieu social caractérisé, les élèves devaient relever le décalage entre la culture familiale et la culture scolaire, en comprendre les raisons et les conséquences.
Dans un premier temps, il devaient expliquer pourquoi la lecture était interdite à la maison par le grand-père :
Le grand-père ne supportait pas de voir un membre de sa famille en pleine lecture. Cette réaction est sûrement due au fait que, n'ayant jamais appris à lire ou à écrire, il se sente inférieur, et étant d'un tempérament violent, sa jalousie se transforme en colère. Et ce d'autant plus que sa femme, dont la place dans la famille à l'époque était bien  inférieure, avait, elle, appris à lire et à écrire (Jérémy)
Le grand-père ne supportait pas que quelqu'un de la famille lise devant lui. Cette pratique lui était inaccessible, et lui donnait l'impression d'être mis à l'écart. Or, traditionnellement, une des valeurs de ce milieu social est l'autorité du chef de famille. Celui-là est dépeint comme violent et autoritaire. Que cette domination soit contestée par la supériorité involontaire du lecteur lui donnait sans doute l'impression de perdre le contrôle de la situation. Durant sa socialisation primaire, seuls les travaux fermiers lui avaient été enseignés, ce qui causait un conflit culturel latent entre lui, sa femme et ses enfants. Ses valeurs de labeur et d'autorité contrastaient avec la nouvelle instruction dispensée (Marie-Hélène)

Dans un second temps, les élèves devaient analyser le rejet, par l'instituteur cette fois-ci, de la culture familiale. Pour ce faire, certains ont pensé à réutiliser un texte étudié en classe et qui était particulièrement approprié.
« Vos parents veulent donc que vous soyez misérables comme eux ! » L'instituteur ne comprend pas la famille du père d'Annie Ernaux qui préfère que le père travaille à la ferme plutôt que d'aller à l'école. On assiste ici à la première solitude : l'instituteur ne comprend pas l'importance que les parents accordent au travail manuel. Le grand-père, lui, a du mal à comprendre l'intérêt de l'école. Il ne sait ni lire ni écrire, et pourtant il a un travail et nourrit sa famille : c'est la deuxième solitude éprouvée par l'enfant chez lui. Le conflit culturel entre la socialisation de la famille et celle de l'enfant commence (Tchouny)
Ici, « misérable » a deux sens. Il sous-entend la situation économique précaire se ses parents mais aussi leur manque de culture (au sens légitime). En fait, si le fils continue à aller aussi peu souvent à l'école, il ne saura ni lire ni écrire, n'aura pas de culture au sens légitime. Il y aura reproduction sociale ; c'est justement ce que veut éviter le professeur (Guillaume)

Enfin, après avoir brossé le portait d'un « hussard noir de la République », les élèves devaient mettre en évidence l'ambiguïté de l'institution scolaire, en s'appuyant sur un texte de Bourdieu présentant le concept de « domination symbolique ». Le texte était relativement ardu, mais a dans la plupart des cas été bien compris et bien exploité.
D'après P. Bourdieu, la classe dominante cherche à imposer aux classes dominées une vision du monde conforme à ses intérêts. Ainsi, le livre lu par le père d'A. Ernaux est dominé par des proverbes disant que les gens doivent se contenter du minimum (on peut être heureux tout en étant pauvres) : « une famille unie possède la meilleure des richesses », « apprendre à être toujours heureux de notre sort ». Ainsi, la classe dominante cherche à imposer une vision positive du monde aux classes dominées (Gary)


Ainsi, à ce stade du devoir, les élèves ont :
caractérisé un milieu social
retrouvé dans le texte les normes et les valeurs qui lui sont propres (travail d'illustration de concepts)
trouvé les concepts permettant de caractériser et d'expliquer une situation (conflit culturel, distance culturelle, reproduction sociale, socialisation… )
et, enfin, établi le rapport entre un texte de théorie sociologique et un témoignage autobiographique


2) La mobilité inter- et intra-générationnelle des parents d'Annie Ernaux

La rupture de la Première Guerre Mondiale
Comme pour beaucoup de paysans, la participation à la guerre a été un vecteur d'ascension sociale. Les élèves devaient expliquer pourquoi.
Entrer dans l'armée pendant la guerre, c'est entrer dans un corps où toutes les origines sociales sont confondues. Il se crée alors une certaine acculturation : les normes, les valeurs de ces hommes désormais égaux se côtoient, puis se mélangent. A la fin de la guerre, chacun rentre chez lui avec de nouvelles idées, de nouvelles façons d'être et de penser. Chacun a apporté et a reçu quelque chose, ce qui a créé un apport nouveau dans leur socialisation (Yoleine)
La Première Guerre mondiale constitue une rupture pour le père d'Annie Ernaux car elle a impliqué des changements dans sa situation sociale. En effet, dans l'armée, toutes les classes sociales se côtoient sans distinction : « un uniforme qui les faisait tous égaux ». Ainsi, le père s'extrait peu à peu de sa culture paysanne d'origine. De plus, ses conditions de vie évoluent : « la caserne plus grande qu'un château », « échanger là ses dents rongées par le cidre par un appareil »… C'est ainsi qu'il entre « dans le monde ». Il découvre une culture différente de celle qu'il avait connue jusqu'ici et change quelque peu sa manière de penser : « Au retour, il n'a plus voulu retourner dans la culture ». Il s'écarte en partie de sa socialisation primaire, surtout familiale. Cela constitue le début de l'ascension sociale pour le père car il n'est plus dans une situation défavorisée par rapport aux autres et cela grandit son ambition par la suite (Maud )

La question permettait donc d'aborder les thèmes de la socialisation secondaire et de l'acculturation à travers un exemple précis : celui de la Première Guerre mondiale comme facteur d'égalisation des conditions.

De la terre à la boutique en passant par l'usine
Après la guerre, le père d'A. Ernaux refuse de retourner au travail des champs, et préfère devenir ouvrier. C'est pour lui le début d'une mobilité sociale, qui est vécue comme une ascension sociale. Ceci devait être expliqué. Il est en effet intéressant pour les élèves de remarquer que le travail ouvrier, aujourd'hui largement dévalorisé, a pu constituer dans un premier temps (et dans certains cas) un emploi attrayant pour les ruraux.
Le père d'Annie Ernaux était un paysan et devient ouvrier. Il change ainsi de statut social. Il était mieux payé et pouvait rester propre et ne se salissait pas les mains. Il se rapproche du statut des classes moyennes, ce qui est donc une ascension sociale. Il a aussi une plus grande sécurité de salaire car avant il était payé selon le rendement des champs ou du bétail, et maintenant c'est un salaire fixe (Sonia)

La deuxième étape, tout aussi fondamentale, vient de l'achat par les parents de la narratrice d'un petit commerce d'alimentation.
En effet, l'accès à la propriété d'un commerce correspond à une ascension sociale pour les parents d'Annie Ernaux, car désormais, ils vivent autrement et leur style de vie a changé. Avec ce commerce, ils gagnent de l'argent avec une grande facilité et un effort physique réduit comparé à auparavant. Ils adoptent de nouvelles normes et de nouvelles manières de vivre : commander, ranger, peser le petit compte… Ces manières inhabituelles créent de la joie chez les parents de la narratrice, qui découvrent un nouveau monde où ils sont appelés patron, patronne… (Elvire)
L'accès à la propriété d'un commerce correspond à une ascension sociale pour les parents d'A. Ernaux car ils n'ont plus les conditions de travail difficiles des ouvriers. Avec un commerce, ils ont leur propre « entreprise », et deviennent des « patrons », d'où leur ascension sociale. Il sont propriétaires de leur commerce, ce sont eux qui le dirigent, ils n'ont de compte à rendre à personne (Julie)

Cependant, cette ascension sociale reste précaire. Peu à peu en effet, l'activité du commerce des parents d'Annie Ernaux se réduit, notamment du fait de la concurrence des grandes surfaces. L'équilibre financier de la famille est donc constamment menacé. Les élèves devaient faire le parallèle entre cette réalité socio-économique, et le comportement politique de M. Ernaux qui, comme le rappelle sa fille, a voté pour Poujade.
Pierre Poujade est un homme politique français né en 1920 à Saint-Céré dans le Lot. Il était commerçant avant de fonder en 1953 l'Union de Défense des commerçants et artisans (l'UDCA). Il fut à l'origine d'un puissant mais éphémère mouvement de lutte contre une fiscalité jugée oppressive. Le père de la narratrice a voté pour Poujade afin de sauver son magasin de la montée en puissance des supermarchés soutenus par l'Etat. Il craint que son magasin soit sur le point de faire faillite à cause de la baisse du nombre de clients qui préfèrent aller faire leurs courses au supermarché (…) Mais on peut se demander si le père d'Annie Ernaux considère vraiment les actions menées par Pierre Poujade sérieuses car il a voté « Poujade comme un bon tour à jouer, sans conviction ». C'est un peu un acte de désespoir. (Laurent)

La permanence d'un « héritage social »
Malgré cette mobilité qui est à la fois inter et intragénérationnelle, les comportements des parents d'Annie Ernaux restent fortement marqués par leur socialisation primaire, par les normes et les valeurs inculquées dans l'enfance. Montrer en quoi cet héritage pouvait entraîner un « habitus » spécifique a généralement été bien fait par la plupart des élèves. Du fait de la qualité des réponses, nous en présentons ici un nombre plus important que précédemment.
Durant toute sa jeunesse, le père d'Annie Ernaux a été garçon de ferme. Ce passé a constitué un héritage culturel qui a eu une certaine influence sur ses comportements.
Tout d'abord, dans son milieu, la famille était une valeur importante. Nous pouvons donc comprendre son refus d'aller travailler au Havre ou à Rouen, du fait de la distance par rapport à sa famille. (…) De plus, il n'était pas un habitué de la ville et manquait d'assurance (« il manquait de culot : huit ans de bêtes et de plaines »). Ces trois facettes de son comportement liées à son passé l'ont empêché de se trouver un emploi mieux payé. Pour continuer, il était également bien vu de ses chefs, car n'ayant pas reçu beaucoup d'instruction et se trouvant dans des conditions de travail améliorées par rapport à son activité de garçon de ferme, il ne faisait partie d'aucun parti politique ou syndicat (…) Son héritage culturel lié à son passé a donc influencé ses comportements grâce à certaines valeurs telles que la famille, le travail, l'attention portée aux finances, mais aussi à cause de valeurs qui ne lui ont pas été inculquées, comme l'instruction ou encore la confiance en soi
(Clarisse)

Son passé de garçon de ferme constitue un « héritage culturel » qui influence ses comportements par les normes et les valeurs enseignées dans son enfance. Il en reste en partie prisonnier car sa socialisation était largement achevée avant le début de son ascension sociale. Ainsi, la valeur de la famille l'empêche de quitter sa région natale. Le milieu paysan a freiné ses ambitions et l'a fait se résigner à rester dans une condition assez simple : « il manquait de culot ». Il garde une méfiance pour les « malins de la ville » qui s'opposent aux garçons simples de la ferme. Son absence d'opinion et d'engagement politique montrent son ignorance de ce monde et un désintérêt pour les causes ne le concernant pas. Il préfère être « bien vu des chefs » et éviter les ennuis (Maud)

La socialisation primaire constitue la première des socialisations, à laquelle un homme ne peut jamais totalement tourner le dos. Elevé par un homme travaillant à la ferme, entré très jeune dans la vie active comme garçon de ferme, le père d'Annie Ernaux est imprégné de certaines valeurs, de normes qui restent en lui et constituent son héritage culturel. Il va donc réagir en fonction de ces normes et de ces valeurs inculquées ; cet héritage culturel influe donc directement sur ses réactions et ses comportements. Le travail à la ferme ne permet pas la fainéantise, l'alcool ou la fête, il n'est donc ni fainéant, ni buveur ni noceur. Habitué à voir son père comme sa mère travailler dur, habitué à travailler dur lui-même, il va garder cette valeur et l'appliquer à son travail d'ouvrier, puis à celui de commerçant (Yoleine)

On voit que son passé de garçon de ferme constitue un « héritage culturel » qui influence ses comportements (…) « Il manquait de culot : huit ans de bêtes et de plaines ». Par cette phrase, on voit que la campagne et sa solidarité mécanique ont influé sur son comportement en limitant l'ambition du père. En effet, dans une solidarité mécanique, les personnes ont une pensée collective, ont la même condition, et personne ne cherche à avoir une promotion sociale. Mais il a aussi obtenu un héritage culturel positif, comme le fait qu'il soit travailleur et sérieux (Alexandre)

                Quel bilan peut-on tirer de cette première étape, de cette étude de la génération des grands-parents et de l'ascension sociale des parents ? Au vu de la production des élèves, il nous semble largement positif. En effet, guidés par les questions, les élèves sont parvenus, et souvent très bien, à mobiliser les savoirs théoriques, et parfois même des textes, étudiés en cours pour étudier l'œuvre. Les réponses restant très descriptives ont été relativement rares, hormis pour la première question.

II - L'ascension sociale d'Annie Ernaux

Alors que chez les parents d'Annie Ernaux, la mobilité sociale n'a que peu de conséquences sur les normes et les valeurs qui les animent (leur héritage culturel reste très prégnant), il en va différemment pour la jeune femme. Par le biais de sa scolarité, de ses fréquentations, la socialisation secondaire prend le pas sur la socialisation primaire, et engendre un conflit culturel majeur entre Annie Ernaux et ses parents.
Pour étudier ce conflit culturel, les élèves étaient mis sur la voie par quelques questions précises, puis devaient approfondir et élargir leur réflexion dans le cadre d'une synthèse d'une page minimum (les réponses ont le plus souvent largement dépassé le seuil minimum imposé).

1) Socialisation secondaire et acculturation

La socialisation secondaire d'Annie Ernaux, qui se fait essentiellement par interaction, la fait migrer progressivement d'un milieu populaire à un milieu bourgeois.
La narratrice est née dans une famille modeste au niveau de vie relativement bas. Au cours de sa scolarité, elle va rencontrer des personnes de milieu social différent, c'est-à-dire plus bourgeois. Elle va même finir par devenir cette bourgeoise si éloignée de sa culture d'origine. A. Ernaux a donc eu une socialisation par interaction, grâce à ses rencontres et liens établis au cours de son enfance et de son adolescence. (Thomas)
Annie Ernaux n'a pas été élevée dans le même milieu que ses parents. Elle n'a pas connu le milieu rural mais celui de la ville, de le vie urbaine, ce qui implique donc qu'elle n'a pas été élevée avec les mêmes valeurs et normes. Elle les a apprises par son père, mais elle ne les a pas vécues (Fabien)

Ce faisant, ses normes et ses valeurs (et en particulier ses goûts) se modifient. Les élèves devaient donc montrer que les goûts révèlent souvent tout autant une classe sociale qu'une personnalité. Cette question a souvent posé problème. En effet, certains élèves y ont répondu en disant que les goûts étaient liés au niveau de vie, au pouvoir d'achat autrement dit. Or ce qu'il fallait voir, c'est qu'à niveau de revenu équivalent, les modes de vie (qui traduisent les goûts) sont différents selon la trajectoire sociale des individus.

Plusieurs élèves ont cependant répondu de manière pertinente à cette question.
Les goûts ont une composante sociale importante puisqu'ils sont l'image même des normes sociales, des habitudes et usages répétés dans la vie de cette famille ouvrière (…) Les groupes sociaux se différencient par leur manière de vivre même dans les actes les plus banals de leur vie quotidienne. Ainsi, le domaine des références culturelles des ouvriers est considéré par les autres classes comme vulgaire, même s'ils possèdent des valeurs propres, telles que la fierté, la dignité et la solidarité. La narratrice va se détourner des goûts de sa culture d'origine, pour s'orienter vers la culture légitime, ce qui va conduire à des rapports conflictuels entre la narratrice et ses parents. Un individu n'est donc jamais totalement conditionné, il n'existe pas de déterminisme absolu (Sabine)
Les goûts varient souvent d'une classe sociale à une autre. Les parents d'Annie Ernaux refont la décoration du café de manière à paraître plus aisés qu'ils ne le sont (« sous le bonheur, la crispation de l'aisance gagnée à l'arrache »). Ils cherchent à imiter les classes sociales plus hautes que la leur (…) mais ils ne connaissent pas vraiment les goûts des milieux aisés (« il s'en est toujours remis au conseil du peintre, du menuisier pour les couleurs et pour les formes, ce qui se fait ») (…) Annie Ernaux ne partage pas les goûts de ses parents et désire d'autres choses qu'eux, avoir des horizons plus étendus et ne pas se restreindre comme eux à ce qu'ils ont toujours connu (« Sois heureuse avec ce que tu as », « Un manque continuel, sans fond ») (Maud)
A. Ernaux possède des goûts qui correspondent à sa classe sociale en tant que professeur. Elle a un regard critique vis-à-vis des goûts de ses parents qu'elle ne considère plus comme « dignes » de ce nom (Julie)

On n'est pas très éloigné ici de la thèse de Maurice Halbwachs, selon laquelle « ce n'est pas dans la zone du travail que serait à chercher le principe de la séparation des classes, mais dans la consommation ». C'est en effet dans la consommation (et donc, aussi, dans les goûts) que se cristallisent les dimensions multiples d'une classe sociale, et leurs besoins sociaux (et pas seulement physiologiques). Il montre ainsi que dans la classe ouvrière, même si l'écart entre ces deux types de besoins est faible, les besoins sociaux restent malgré tout déterminants. L' attachement à la propreté du linge, à un intérieur bien tenu, l'existence, parfois, d'une pièce d'apparat (le salon) sont autant d'éléments qui correspondent à une transformation du mode de vie ouvrier. L'habitation n'est plus seulement un toit, mais un lieu d'intimité.
Ces évolutions, qui traduisent bien sûr une élévation du niveau de vie des ouvriers mais aussi un phénomène d'imitation et de rattrapage des modes de consommation bourgeois, sont particulièrement nettes chez les parents d'Annie Ernaux, qui cherchent à reproduire une intérieur bourgeois, sans y parvenir totalement.

Enfin, les élèves devaient remarquer que le langage lui aussi est révélateur d'un milieu social donné, notamment en commentant cette phrase : « Je dis souvent ‘nous' maintenant, parce que j'ai longtemps pensé de cette façon et je ne sais pas quand j'ai cessé de le faire ».
« Je dis souvent ‘nous' maintenant, parce que j'ai longtemps pensé de cette façon et je ne sais pas quand j'ai cessé de le faire ». Ce ‘nous' vient du fait qu'une des valeurs des ouvriers est le respect du groupe et la solidarité. Ainsi, on ne prend pas l'habitude de se démarquer en tant qu'individu mais de s'assimiler au groupe. C'est pourquoi A. Ernaux dit « nous » car elle parle de sa famille, ou de l'ensemble des gens de son milieu et elle s'y identifie. Dans les classes considérées comme « supérieures », l'individualité est développée, l'individu s'affirme et construit son bonheur propre. Voilà le moment où elle commence à dire « je », lors de son passage dans la petite bourgeoisie (Ariane).
Le vocabulaire en italique traduit un détachement vis-à-vis d'un langage qui n'est plus le sien (…) Tout ce qui touche au langage est pour elle un souvenir de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent. (Alexandra)

Certains élèves ont bien résumé l'ensemble des transformations qui se sont opérées au sein de la famille Ernaux en un demi-siècle :
On peut constater une grande différence de position sociale en comparant l'auteur à ses parents, et même à ses grands-parents. Les professions (journalier/petit commerçant/professeur de Lettres), le langage (argot/registre châtié), la famille (nombreuse/enfant unique/enfant unique et auteur divorcée), tout témoigne d'un écart profond qui s'est creusé en une moitié de siècle (Marie-Gabrielle)
Du grand-père illettré au professeur de Lettres, et même du traditionnalisme rural où la femme « ne riait pas tous les jours » mais se soumettait au divorce actuel pour incompatibilité, il y a un fossé (Marie-Hélène)

Les élèves ont donc bien perçu, à travers l'étude de l'œuvre complète, comment un individu pouvait construire sa trajectoire sociale, à partir de sa socialisation primaire modelée ensuite par sa socialisation secondaire.

2) Mobilité sociale et conflit culturel

Dans le cas d'Annie Ernaux, ces deux socialisations sont en contradiction, et ce du fait de son ascension sociale. De cet écart profond (conséquence d'une acculturation progressive) entre les normes et valeurs d'Annie Ernaux et celles de ses parents naît un conflit culturel entre les uns et les autres. C'est cet écart culturel que les élèves devaient développer dans la synthèse.

Cette synthèse est sans doute ce qui a été le moins réussi. Autant les questions guidaient suffisamment les élèves pour qu'ils évitent de rester trop descriptifs, autant la synthèse a parfois pris l'allure de la narration d'une histoire, sans que les enjeux sociologiques soient nettement mis en valeur. Cela n'a pas toujours été le cas cependant, comme en témoigne la copie ci-dessous.
La confrontation entre la bourgeoisie et le monde ouvrier (ainsi que la confrontation hommes / femmes) est présentée sous forme d'un conflit culturel (ensemble des tensions que vont rencontrer Annie et ses parents puisqu'ils appartiennent à des cultures apparemment incompatibles). L'auteur a obtenu une bonne place sociale mais elle est désormais déchirée entre deux univers (…) Le milieu bourgeois l'attire, elle aspire à des conditions de vie supérieures à celles de son milieu d'origine (…) Annie se rappelle avoir ressenti de la gêne parce que leur comportement n'est pas caractéristique du milieu bourgeois (…) et c'est ce qui provoque le conflit : « La dispute éclatait à table pour un rien. Je croyais toujours avoir raison parce qu'il ne savait pas discuter. Je lui faisais des remarques sur sa façon de parler ou de manger ». Ceci montre bien que les manières de vivre sont complètement différentes (…) La véritable rupture avec sa classe sociale ne se fera qu'au moment où elle réussit son CAPES. Là, coïncidence traumatisante, son père meurt (Alexandra)
On retrouve ici la tension entre une appartenance largement subie (héritée) à des communautés préexistantes et la sélection active (choisie) de rôles socialement légitimes que décrit G. H. Mead. Il insiste en effet sur les risques constants de « dissociation du Soi » qui accompagne la socialisation : entre un « moi » qui implique nécessairement un effort de conformité au groupe pour e faire reconnaître et un « je » qui risque toujours de se faire infirmer ou méconnaître par les autres, le Soi (self) en construction risque de se faire écarteler entre l'identité collective synonyme de discipline, de conformisme, de passivité et l'identité individuelle synonyme d'originalité, mais aussi de risque et d'insécurité.

Plus pertinentes encore pour une analyse sociologique de La Place, les réflexions de P. Berger et T. Luckmann sur la socialisation. En effet, selon eux, il est possible de faire la double hypothèse suivante : d'une part, « la socialisation n'est jamais complètement réussie » (p. 146) et « la socialisation n'est jamais complètement terminée » (p. 188). Il fait donc faire une place importante à la socialisation secondaire provisoirement définie comme « intériorisation de sous-mondes institutionnels spécialisés » (l'institution scolaire essentiellement, dans le cas qui nous intéresse) et « acquisition de savoirs spécifiques et de rôles directement ou indirectement enracinés dans la division du travail » (p. 189).

Cette socialisation secondaire peut constituer une rupture par rapport à la socialisation primaire comme, par exemple, « lorsque l'enfant plus âgé en vient à reconnaître que le monde représenté par ses parents, ce même monde qu'il a précédemment considéré comme pré-donné est en fait le monde des gens sans éducation, des classes inférieures » (p. 194). La thèse défendue par les auteurs est que dans ce cas, « il faut plusieurs chocs biographiques pour désintégrer la réalité massive intériorisée au cours la prime enfance » (p. 195). Plus intéressant, ceux-ci, accompagnant un double processus de « changement du monde » et de « déstructuration/restructuration de l'identité » supposent pour être réussis certaines conditions, dont les suivantes :
un fort engagement personnel, ce qui est le cas d'Annie Ernaux, dont on sent la forte volonté d'ascension sociale
un processus institutionnel d'initiation permettant une transformation réelle de la « maison » de l'individu (c'est l'école qui a joué ce rôle) et une implication des socialisateurs dans le passage d'une « maison » à une autre (rôle ici des parents d'Annie Ernaux)

Même sans être entrés dans tous les détails des théories sur la socialisation et le conflit culturel, les élèves auront sans doute retenu au terme de leur devoir l'essentiel, à savoir les conséquences parfois douloureuses d'une mobilité sociale ascendante.

3) Les raisons de l'ascension sociale d'Annie Ernaux

A la fin de la correction en classe du devoir, nous avons demandé aux élèves quelles étaient selon eux les raisons de l'ascension sociale d'Annie Ernaux et de ses parents, dans le but de leur faire découvrir les concepts de mobilité sociale structurelle et de mobilité nette. Les réponses ont été dans le sens de la mobilité structurelle, qu'il s'agisse des parents (importance croissante du secteur secondaire qui leur permet de devenir ouvriers) ou de leur fille (tertiarisation de la société qui peut expliquer son accès au statut de professeur). Cependant, certaines copies avaient bien souligné l'existence d'un autre processus à l'œuvre, au-delà de l'évolution de la structure sociale, pour expliquer l'ascension sociale d'Annie Ernaux.

On rejoint ici la notion d'habitus définie par Bourdieu, mais pris ici dans sa seconde signification, c'est-à-dire, pour reprendre les termes de C. Dubar, « non pas comme le produit d'une condition sociale d'origine mais d'une trajectoire sociale définie sur plusieurs générations et plus précisément de la pente de la trajectoire sociale de la lignée ». Autrement dit, l'habitus est présenté comme une imprégnation d'attitudes subjectives issues de la lignée familiale. Ainsi, reproduire les conditions de production peut signifier vouloir accéder à un statut social supérieur et non pas maintenir son statut d'origine. Dans le cas de la famille Ernaux, cette signification de l'habitus est particulièrement pertinente. Le point commun entre les générations semble en effet avoir été l'aspiration à l'ascension sociale, sinon personnellement, du moins pour ses enfants. Déjà de sa grand-mère Annie Ernaux dit qu'elle « avait de la distinction, aux fêtes, elle portait un faux-cul en carton, et elle ne pissait pas debout sous ses jupes somme la plupart des femmes de la campagne, par commodité ». Quand elle décrit la rencontre de ses parents, elle précise ce qui a du plaire à sa mère : « Il était grand, brun, les yeux bleus, se tenait très droit, il se ‘croyait' un peu. ‘Mon mari n'a jamais fait ouvrier' ». Et l'on pourrait multiplier les exemples…

L'ascension sociale de la famille Ernaux illustre donc parfaitement cette idée selon laquelle « un fils d'ouvrier lui-même fils de paysan et tout entier tendu vers l'ascension sociale et la sortie de la condition ouvrière ne sera pas élevé de la même manière qu'un fils d'ouvrier lui-même fils d'ouvrier et persuadé qu'un ne peut sortir de la condition ouvrière ». Alors que le premier risque d'avoir un « habitus petit-bourgeois » -tout en étant d'origine ouvrière mais avec une socialisation anticipatrice de petit-bourgeois (c'est le cas de la famille Ernaux)- le second aura un habitus ouvrier « traditionnel ».

Conclusion

Rappelons tout d'abord les trois objectifs généraux que nous nous étions fixés :
faire le lien entre les différents thèmes du programme
préparer au thème de Terminale sur la mobilité sociale, ou plus précisément, montrer que le cours de Première constituait le socle de ce chapitre de Terminale.
montrer la spécificité du « regard sociologique »
Dans quelle mesure ces objectifs ont-ils été atteints ? Autrement dit, était-il pertinent de recourir à l'étude d'une œuvre littéraire pour les atteindre ?

                Il nous semble qu'en ce qui concerne les deux premiers, la réponse est très largement positive. En effet, sans doute parce que les questions les guidaient de manière assez précise, les élèves ont montré qu'ils avaient compris et assimilé le cours, et perçu ce cours comme un bagage d'outils dans lequel on peut puiser librement, outils que l'on peut associer, combiner afin d'analyser une situation. De plus, même sans l'avoir formalisé, ils ont certainement acquis des bases essentielles pour comprendre les enjeux de la mobilité sociale, ses causes et ses conséquences. Le risque est peut-être que les élèves ne prennent cet exemple singulier comme un cas général, et non caractéristique d'un certain type de mobilité sociale. Cependant, il nous semble avoir suffisamment étudié par ailleurs de textes illustrant la reproduction sociale pour que les élèves ne considèrent pas l'ascension sociale comme une généralité.

                Si les deux premiers objectifs nous semblent avoir été largement atteints, tel n'est pas aussi nettement le cas pour le dernier, faire saisir aux élèves la spécificité de la démarche sociologique. Plus précisément, le résultat est très variable selon les élèves. Certains ont en effet parfaitement saisi la manière dont se rédige une analyse sociologique, tandis que d'autres ont eu du mal à ne pas reproduire ce qu'ils avaient déjà fait en cours de français. Surtout, il s'est révélé souvent difficile d'expliquer de manière précise ces différences (et donc de justifier les écarts de notes). C'est ce que nous avons malgré tout essayé de faire lors de la correction, en insistant particulièrement sur la nécessité de structurer les réponses d'une part, et de toujours ramener du particulier à du général d'autre part.

                Ainsi, à ces réserves près, le projet mené autour de l'œuvre d'Annie Ernaux nous paraît stimulant pour les élèves, et fructueux en termes d'acquisition de savoirs, mais aussi et surtout de savoir-faire.
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